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FTX est soumis à la pression de ses collègues les plus proches, tandis que SBF est en très mauvais état


Publié le 11 oct. 2023 à 17:09Mis à jour le 11 oct. 2023 à 18:34

Moins d’un an après la retentissante faillite de la plateforme FTX, troisième place mondiale d’échanges de cryptomonnaies avant sa mise en liquidation en novembre 2022, le procès de son fondateur Sam Bankman-Fried (SBF) s’est ouvert mardi 3 octobre, à New York. Le prince déchu de l’industrie fait face à sept chefs d’accusations : deux de fraude électronique et cinq de conspiration. Fondée en 2019, FTX était « une fraude dès le départ » selon la Securities and Exchange Commission (SEC), qui accuse SBF d’avoir détourné les fonds des clients de FTX vers Alameda, sa société de trading de cryptomonnaies créée deux ans auparavant.

Plus que le procès d’un homme, celui qui a débuté mardi dernier pourrait jeter l’opprobre sur l’industrie des cryptomonnaies dans son ensemble, craignent quelques observateurs. Professeur de droit à l’université de Vanderbilt (Etats-Unis), Yesha Yadav s'interroge de fait sur l'ampleur des dégâts que celui-ci peut causer à la réputation déjà bien entamée de l'industrie. « Ce procès va être un moment atroce pour l'industrie, car personne ne sait quel type de preuve pourrait en ressortir », souffle-t-il, alors que de nombreuses personnalités du secteur vont être appelées à la barre ces cinq prochaines semaines. Outre SBF lui-même, d’autres co-conspirateurs ayant plaidé coupable vont en effet témoigner, à commencer par Caroline Ellison, son ex-petite amie qui était aussi – et surtout – PDG d’Alameda Research, le co-fondateur de FTX, Gary Wang, et le responsable technique de la plateforme, Nishad Singh.

C’est néanmoins l’audition de SBF lui-même qui pourrait causer le plus de tort à l’industrie. Son comportement imprévisible, même après la chute de FTX, suggère qu’il pourrait être tenté d’opter pour une politique de la terre brûlée. « Va-t-il jeter l'ensemble du secteur sous un bus ? », s’interroge ainsi Hermine Wong, ancienne responsable de la politique de Coinbase et régulatrice de la SEC, interrogée par le média américain The Verge. Il pourrait, selon elle, se défendre en arguant qu’il s’agissait de pratiques courantes dans l’industrie. Si cette idée ne serait probablement pas retenue par le tribunal, elle est en revanche susceptible d’affecter la confiance (toute relative) des particuliers envers les plateformes d’échanges. D’anciens cadres de Binance (investisseur de la première heure de FTX) ou de l’entreprise de capital-risque Sequoia Capital (autre investisseur) pourraient être interrogés sur la « due diligence » qu’ils sont censés avoir réaliser en amont de leur prise de participation respective.

Un procès en deux temps

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Le procès se déroulera en deux temps et l’accusateur, le gouvernement américain, devra d’abord démontrer que certaines transactions illicites ont effectivement eu lieu. Les procureurs devront ensuite relier celles-ci à SBF, prouver que ce dernier savait que ce qu’il faisait était mal et qu’il a menti à ce sujet. Les documents déposés révèlent que les procureurs estiment que SBF a menti sur la protection des consommateurs, sur l’absence de conflits d’intérêts entre FTX et Alameda, ainsi que sur la séparation des actifs des clients de ceux de l’entreprise.

L’acte d’accusation indique, par ailleurs, que le code de FTX comportait une « porte dérobée » qui permettait à Alameda d’utiliser les fonds déposés par les clients sur FTX. SBF est notamment accusé d’avoir personnellement utilisé « des milliards de dollars de dépôts des clients détournés » pour acheter plus de 200 millions de biens immobiliers, essentiellement aux Bahamas, et réaliser des investissements personnels à hauteur de milliards de dollars. SBF aurait également réalisé des dons, pour plus de 100 millions de dollars, à des hommes et femmes politiques démocrates. Les procureurs peuvent montrer des preuves de ces contributions au cours de ce procès, mais celles-ci ne seront pas retenues, car elles seront au cœur d’un second procès prévu en mars 2024.

Aujourd’hui, ce qui reste de FTX est dirigé par John J. Ray III, qui fut également le liquidateur d’Enron, au début des années 2000. Il a plusieurs fois affirmé que la faillite de la plateforme était pire que celle de l’ancien géant de l’énergie, et a par ailleurs intenté une action en justice à l’encontre des parents de SBF, tous deux professeurs de droit à Stanford (Etats-Unis), indiquant qu’ils devraient rendre les millions de dollars gracieusement obtenus de leur enfant. John J. Ray III a qualifié les manœuvres de SBF de « détournement de fonds à l’ancienne ».

SBF accablé par ses plus proches collaborateurs

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Si Sam Bankman-Fried a plaidé non coupable de deux chefs d’accusation de fraude et de cinq chefs d’accusation de conspiration, les témoignages accablants s’enchaînent depuis l’ouverture du procès. Et ceux-ci proviennent de la garde rapprochée de l’ancienne idole des cryptomonnaies. Avant celui de son ex-compagne et patronne d’Alameda Research, Caroline Ellison, ce mardi, le cofondateur de FTX Gary Wang et un ancien développeur de FTX et d’Alameda Adam Yedidia, qui ont plaidé coupable et coopèrent depuis avec le procureur en vue de réduire leur peine, avaient en effet été appelés à la barre. Et les deux proches de SBF n’y sont pas allés de main morte pour qualifier les agissements de leur ami – et ancien patron. Le premier a décrit, vendredi, un personnage prêt à enfreindre la loi et à mentir afin de permettre à FTX d’afficher une croissance soutenue, et s’est évertué à expliquer les avantages dont bénéficiaient Alameda grâce à des lignes de code intégrées dans le logiciel de FTX. Celles-ci offrent à Alameda la possibilité d’effectuer des retraits illimités sur les fonds déposés par les clients de la plateforme. Ce « bug » dans le code, mis en place à l’initiative de SBF, a été écrit par l’ancien directeur de l’ingénierie de FTX Nishad Singh dès 2019, avant d’être revu par Gary Wang, a détaillé ce dernier. La limite fixée à cette ligne de crédit accordée à Alameda a été progressivement relevée, pour atteindre, finalement le montant astronomique de 65 milliards de dollars.

À la question du procureur adjoint Nicolas Roos : « Avez-vous commis des délits financiers lorsque vous travailliez chez FTX ? », Gary Wang a donc naturellement répondu « oui », nommant par la suite SBF lorsqu’on lui a demandé s’il voyait, dans la salle d’audience, des personnes avec lesquelles ceux-ci ont été commis. Impassible jusque-là, l’ancien patron de la plateforme d’échanges a accusé le coup face à l’estocade portée par son ami, rencontré dans sa jeunesse lors d’un stage réservé aux passionnés de mathématiques, puis retrouvé plus tard sur les bancs du MIT. Gary Wang, qui détenait 10% d’Alameda (et environ 17% de FTX) contre 90% pour SBF, a clairement indiqué au tribunal que ce dernier « menait la danse ». Il a également évoqué un prêt personnel d'un million de dollars qu'il a reçu, ainsi qu’un autre, de 200 à 300 millions de dollars, accordé à son nom par Alameda mais qui n'a jamais été déposé sur son compte, puisqu’il a été utilisé pour réaliser des investissements dans d’autres sociétés au nom de FTX. « Tout cela a été fait par Sam Bankman-Fried », a-t-il encore insisté.

Interrogé sur la ligne de crédit accordée à Alameda, Adam Yedidia a expliqué avoir soumis, dès juin 2022, un rapport à SBF montrant qu’il manquait 8 milliards de dollars de fonds déposés par des clients dans une base de données interne permettant de suivre l’argent viré sur un compte d’Alameda. Il a raconté en avoir parlé avec SBF sur le terrain de pickleball (sorte de tennis miniature) de la station balnéaire de Nassau, aux Bahamas, d’où FTX opérait, précisant lui avoir exprimé son inquiétude car cela « semblait représenter beaucoup d’argent ». Ce à quoi Sam Bankman-Fried aurait répondu : « Nous étions à l’épreuve des balles l’année dernière. Nous ne le sommes plus cette année ». Comme s’il avait déjà senti que le vent était en train de tourner. Le témoignage d’Adam Yedidia s’est terminé sur une note enflammée, lorsque Lewis Kaplan, juge principal du tribunal fédéral de Manhattan, lui a demandé pourquoi il avait perdu confiance en SBF et démissionné : « FTX a escroqué tous ses clients », s’est-il emporté.

Caroline Ellison enfonce le clou

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Le procès a pris une tournure encore plus dramatique, mardi après-midi, lorsque Caroline Ellison s’est présentée à la barre. Quelques minutes plus tard, elle désignait à son tour Sam Bankman-Fried, son ex-petit ami, comme le responsable de la perte de plusieurs milliards de dollars de clients et de l’effondrement de la plateforme. « Il m'a ordonné de commettre ces crimes », a déclaré l’ancienne patronne d’Alameda, qui coopère également avec la justice, aux jurés du tribunal fédéral de New York. Durant près de trois heures, elle a parlé de son ancien compagnon sous un angle intime, le décrivant comme une personne intéressée par la politique et qui comptait utiliser son argent pour gagner en influence. Dans une conversation privée, SBF lui a dit avoir calculé qu’il avait 5% de chances de devenir un jour président des Etats-Unis. Les aspects intime et professionnel de leur relation ne faisaient en outre pas bon ménage, selon Caroline Ellison, qui estime que cette dynamique a « créé quelques situations embarrassantes ».

Le procureur Danielle Sassoon lui a ensuite demandé quelle était l'implication de l'accusé (SBF) dans l'utilisation de l'argent des clients de FTX comme source de financement pour Alameda. « Il a dit que FTX serait une bonne source de capital […] et a mis en place le système permettant à Alameda d’emprunter des milliards », a-t-elle répondu. Interrogée sur le montant exact de la ligne de crédit en question, elle a indiqué qu’elle ne s’en souvenait pas, précisant qu’elle pensait que celle-ci était « illimitée ». « J'étais quelque peu inquiète, car je pensais que c'était quelque chose que les clients de FTX ignoraient, et qu'ils ne seraient pas contents s'ils l'apprenaient », a-t-elle ajouté. En juin 2022, soit quelques mois avant le dépôt de bilan, Alameda avait ainsi accordé 5 milliards de prêts à SBF et à d’autres initiés, essentiellement consacrés à des investissements, ainsi qu’à des achats immobiliers.

5 milliards prêtés… aux dirigeants d’Alameda

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De leur côté, les avocats de Bankman-Fried brossent un portrait aussi peu flatteur que possible de Caroline Ellison, en la présentant comme une femme manquant de confiance en elle et peu douée pour les affaires. L’avocat de la défense Mark Cohen a ainsi qualifié les décisions de l’ancienne patronne d’Alameda de « préjudiciables aux deux entreprises », en particulier lorsque SBF l’a exhortée, début 2022, à mettre en place une couverture pour se protéger du ralentissement du marché, ce qu’elle n’a pas fait. Caroline Ellison a interpellé SBF pour lui signifier qu’elle manquait selon elle d’expérience pour occuper des fonctions si importantes, mais le patron de l’ancienne plateforme d’échanges l’a rassuré en lui disant qu’elle était « la bonne personne pour ce poste ». « Pour toute décision importante, j’allais toujours voir le directeur général », s’est-elle défendue.

Le procès a repris ce mercredi en fin de matinée, avec la poursuite du témoignage de Caroline Ellison, sur la même note que la veille. Elle a ainsi confirmé que l’argent utilisé par Alameda pour rembourser ses prêts provenait des clients de FTX : « C’était la seule manière de rembourser cette somme », selon elle. « Les clients avaient déposé 13 milliards sur FTX, mais seulement 3 étaient disponibles, les 10 milliards restants avaient été empruntés par Alameda », a poursuivi l’ancienne patronne de l’entreprise de trading. « Je savais que c'était mal. Je m'inquiétais du fait que les clients FTX le découvrent et tentent de tout retirer d'un coup », a-t-elle ajouté, précisant qu’Alameda n’avait pu rembourser que 5 des 10 milliards empruntés.

Parmi les créanciers du groupe figuraient notamment Genesis, filiale de DCG spécialisée dans les services financiers à destination des particuliers, qui avait prêté 400 millions à Alameda. SBF refusait de leur envoyer des documents comptables, qui auraient révélé que la société avait prêté 5 milliards à ses propres dirigeants. « Il voulait que je cache des choses sur notre bilan. J’ai donc préparé 7 bilans différents. J'ai présenté les alternatives à Sam et je l'ai laissé décider […] Il a choisi l'alternative n°7, qui ne divulguait pas les 10 milliards dus aux clients de FTX », a-t-elle asséné. Comme pour planter le dernier clou dans le cercueil de Sam Bankman-Fried, qui risque pour rappel jusqu’à 115 ans de prison.

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Author: Nicholas Perry

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